Inde-Pakistan : une cérémonie aux allures martiales

14 Août 2013



Haut les couleurs ! Le public agite de nombreuses petites bannières ce soir, à Wagah, pour la cérémonie du baisser de drapeaux. À l'unique poste frontière terrestre entre l'Inde et le Pakistan, ce rituel quotidien donne lieu à une confrontation symbolique entre les soldats des deux pays.


Officier indien | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
Officier indien | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
Comme chaque soir à Wagah, les gradins sont remplis d'une foule nombreuse et colorée. Les spectateurs se pressent, je me trouve mêlée à une multitude de saris aux tons éclatants et de turbans aux plis soignés. Un homme torse nu et jambes croisées, vêtu d'un simple pagne, observe également la scène. En contre-bas, un « chauffeur de salle » plein de vigueur anime les lieux en s'égosillant dans son micro. L'ambiance est à la fête. Toutefois, ce ne sont pas des badauds curieux qui viennent ici en nombre, mais des Indiens, fiers de leur nation. Hommes, femmes et enfants arborent de petits drapeaux aux couleurs de leur pays. Ce soir, ils sont venus de tous les coins de l'Inde pour acclamer leur armée.

Une cérémonie patriotique

À l'unique poste frontière terrestre entre l'Inde et le Pakistan, se cristallisent les tensions qui existent entre les deux pays depuis la Partition. En effet, en 1947 l'indépendance de l'Inde britannique a donné naissance à deux États distincts : l'Inde, à majorité hindouiste, et le Pakistan (une partie occidentale, et une partie orientale, qui deviendra le Bangladesh), à majorité musulmane. Cette dissociation des deux communautés va engendrer d'importants mouvements de populations : tandis que six millions de musulmans quittent l'Inde, près de quatre millions d'hindous s'y rendent. Frères ennemis, les deux pays s'opposent depuis lors et se défient régulièrement, s'affrontant parfois par les armes. Tout le long de leur frontière commune, les armées indienne et pakistanaise se font face. Les passages d'un côté à l'autre sont rares. Dans ce contexte de fortes tensions, l'unique poste frontière franchissable par la route met en exergue cet affrontement continuel.

Lors de la Partition, le village de Wagah s'est trouvé sur la ligne de démarcation et a donc été scindé en deux. Depuis, les gardes-frontières s'observent mutuellement. Orgueilleux. Dans un face-à-face interminable, qui prend des allures de parade militaire lors de la fermeture nocturne du poste. Chaque soir vers 18h, la cérémonie du baisser de drapeaux voit s'affronter symboliquement des soldats indiens et pakistanais, sous les acclamations de fervents patriotes. Car la confrontation se joue également dans les tribunes, où l'on scande des slogans nationalistes.

De chaque côté de la barrière matérialisant la frontière, de véritables supporters sont venus soutenir leur camp. Côté indien, les gradins sont pleins et l'ambiance survoltée. Côté pakistanais, les quelques hommes aux tenues ternes peinent à contrer la fougue voisine. Le contraste s'accentue encore lorsqu'une dizaine d'Indiens se précipitent dans l'allée pour se déhancher sur une musique bollywoodienne. Déchaînés, ils expriment ainsi avec intensité leur arrogance envers la nation adverse.

Un baisser de drapeau sous tension

Public côté indien | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
Public côté indien | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
« Hindustan zindabad ! Hindustan zindabad ! » (Vive l'Inde ! Vive l'Inde !). Sous les acclamations du public, une poignée de militaires entame la cérémonie de fermeture quotidienne du poste frontière. Une trompette résonne. Le port de tête droit, les bras rigoureusement tenus le long du corps, les soldats affichent un visage grave. Leurs costumes sont identiques à ceux des Pakistanais, à la seule différence qu'ils sont kakis au lieu de gris. Au garde-à-vous, les soldats indiens effectuent quelques mouvement secs et défilent au rythme de leurs souliers à clous.

Torse bombé, visage fermé et poings serrés, ils exécutent une parade intimidante. C'est la tête haute qu'ils portent l'honneur de leur nation. De leur côté, les militaires pakistanais adoptent les mêmes postures, défiant l'adversaire. Avançant au pas, levant haut les genoux, les deux camps se dirigent vers la grille, qu'ils ferment rapidement. Les gestes sont précis, ne laissant aucune place à l'improvisation.

Le rituel prend alors un tournant inattendu. Alignés, les officiers se succèdent pour crier dans le micro. Ils s'époumonent, longuement et intensément. Un frisson parcourt l'assemblée, qui semble vouloir clamer avec ses soldats toute la force, toute la puissance de l'Inde. Puis c'est au tour des officiers pakistanais de hurler avec autant de ténacité. Le duel sonore est un combat de coqs entre deux nations qui cherchent à se dominer l'une l'autre. Bientôt, ce sont les spectateurs qui se joignent aux soldats pour exprimer avec animalité leur désir de suprématie. La catharsis atteint là son plus haut degré de libération. Enfin, le portail s'ouvre une dernière fois, subrepticement, afin que deux officiers, un de chaque camp, échangent une poignée de main. Rapidement, presque furtivement, comme pour éviter que ne s'installe une improbable camaraderie.

Touristes indiens se photographiant avec les soldats | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
Touristes indiens se photographiant avec les soldats | Crédits photo -- Audrey Sérandour/Le Journal International
La barrière close, les militaires procèdent alors à l'ultime étape de la cérémonie : le baisser des drapeaux. Lentement, progressivement, les bannières entament leur descente. Mais attention ! Ces pièces de tissu profondément symboliques, représentant chaque nation, doivent rester à la même hauteur. À chaque instant. La vigilance des soldats doit être infaillible, ils ont l'obligation de les descendre exactement à la même vitesse. Jusqu'à ce que les drapeaux atteignent le bas du mat et que les gardes-frontières procèdent à leur méticuleux pliage. La cérémonie aura duré près de trois quarts d'heure.

Dans l'atmosphère tendue qui caractérise les relations antagonistes entre ces deux territoires, séparés arbitrairement il y a plus de soixante ans. Dès sa création, la frontière est apparue fragile et a fait l'objet de nombreux conflits, notamment pour le contrôle de la région du Cachemire. Une nouvelle fois, la cérémonie aura permis aux peuples divorcés de se libérer de leur éternelle et profonde rancœur. Le lendemain, je suis réveillée par un coup de canon symbolique, tiré de chaque côté de la frontière, me rappelant la réalité belliqueuse au cœur de laquelle j'ai bivouaqué.


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Audrey Sérandour
Étudiante en science politique à Lyon 2, ancienne rédactrice en chef de la gazette étudiante... En savoir plus sur cet auteur